Cette question, qui est encore aujourd’hui sur toutes les lèvres, même après dix (10) ans, est toujours au cœur des préoccupations des esthéticiennes et aurait dû être démystifiée bien plus tôt. J’ai tout de même malheureusement constaté que cette question en embête encore plusieurs.
Alors, vous m’auriez posé cette question il y a 10 ans, et j’aurais moi-même hésité. Mais aujourd’hui, nous avons constaté les conséquences de ce « trend » cosmétique à nos dépends.
À l’époque, je complétais ma maitrise de recherches en génie titulaire – eh oui, j’ai fabriqué de la peau en laboratoire pendant 2 ans et sans surprise, j’en suis tombée amoureuse – et ensuite je partais faire un master professionnel en cosmétologie industrielle à Lyon. Là-bas, la mode du naturel faisait rage et ce débat était sur toutes les lèvres!
J’ai pensé moi aussi à l’époque que cette segmentation de marché prendrait plus d’ampleur, mais lors de l’apprentissage de la formulation d’un produit cosmétique et de son impact sur la peau, j’ai compris pourquoi ce phénomène n’aura été qu’une mode qui a plafonné à environ 25% des parts de marché.
Le plus gros organe du corps humain?
Comme vous le savez, la peau est le plus gros organe du corps humain, ça en fait des cellules à protéger! Et que son rôle est l’un des plus importants puisqu’elle a été créée pour protéger nos organes internes.
Voilà pourquoi le système immunitaire de la peau est si unique. Il se doit d’être beaucoup plus réactif afin de s’assurer qu’aucun intrus ne rentre jusqu’aux vaisseaux sanguins du derme qui devient par le fait même l’autoroute du corps entier.
La peau, un système immunitaire à part entière
Vous avez sûrement, vous aussi « dans le cadre de votre pratique et avec vos clientes », constaté une recrudescence des allergies saisonnières et de l’eczéma qui sont tous deux reliés à une faiblesse immunitaire interne qui entraine une plus grande réactivité du système immunitaire de la peau.
Selon vous, vers quelle période de la vie se forme le système immunitaire de la peau?
Les années les plus cruciales de son développement sont de 0 à 5 ans. C’est lors de cette période de la vie que la peau doit être en contact avec le plus d’éléments extérieurs possible afin de devenir le meilleur système immunitaire à l’âge adulte. Voilà pourquoi, dans la majorité des cas, l’eczéma chez les enfants arrête brusquement à leur cinquième anniversaire. Ce que vous devez donc garder en tête est qu’une composante/ingrédient peut être bonne d’un point de vue alimentaire, mais très irritante pour le système immunitaire de la peau.
Ce que les dermatologues pensent des produits naturels
Si on prend en compte les différentes classes d’allergènes possibles selon la réactivité de la peau ( ), on s’aperçoit que les terpènes – groupement chimique irritant pour le système immunitaire de la peau – majoritairement retrouvés dans :
- les huiles essentielles;
- les parfums;
- les extraits végétaux;
Alors, selon vous, est-ce que les dermatologues aiment les produits cosmétiques naturels?
Eh bien, les produits cosmétiques naturels contiennent beaucoup trop de ces allergènes cachés provenant de la famille des terpènes. C’est principalement ce facteur qui a limité la croissance de cette part de marché puisque les dermatologues ne les ont pas supportés en constatant une augmentation des intolérances et allergies aux produits cosmétiques.
En effet, le maximum de leurs parts de marché a plafonné à 25% entre 2010 et 2015, il a ensuite progressivement diminué à 10% et on estime qu’il restera stable entre 5 à 10% puisque les valeurs d’une partie de votre clientèle vont toujours en demander.
Un produit de beauté est certifié COSMOS ORGANIC seulement si:
- 95% au minimum des végétaux qu’il contient sont biologiques
- 20% d’ingrédients biologiques au minimum sont présents dans la formule au total (10% pour les produits à rincer)
Cette certification est la plus rigoureuse et reconnue mondialement en matière de fabrication cosmétique naturelle.
Donc, les personnes qui assimilent automatiquement ce qui est « tout naturel » à être : sans danger, efficace et supérieur aux médicaments, manquent d’une importante compréhension de base sur plusieurs disciplines scientifiques dont : la chimie, la biologie, la biochimie et la pharmacocinétique qui sont à l’origine de nos traitements les plus efficaces, autant en pharmacologie qu’en cosmétologie.
Qu’en est-il de la cosmétique traditionnelle?
Son but était principalement de travailler sur les symptômes de vieillissement intrinsèques et extrinsèques, dont le principal est le .
Il est vrai que la cosmétique originelle a pu être polluante et utiliser certains ingrédients douteux, mais les choses ont grandement changé. Dès mon BACC de chimie 2005, nous avions commencé depuis quelques années déjà, à travailler davantage avec des procédés de chimie verte. Ce qui signifie d’utiliser des ingrédients sécuritaires pour la nature et d’éviter les rejets à la suite d’une synthèse organique. Et dans les dernières années, nous avons fait un pas de plus en synthétisant entre 80% et 95% de nos ingrédients à partir de composantes végétales.
Nous sommes également maintenant les rois de la revalorisation de certains déchets industriels. Par exemple, le collagène marin provient de résidus de peau de poisson et de carcasses de crustacés. Nous ne pêchons pas davantage de poissons, mais nous utilisons à 100% ceux pêchés pour l’alimentation à des fins cosmétiques!
Un bel exemple de l’inspiration de la cosmétique naturelle est la petite révolution qui touche aux agents moussants, autant pour les gels corps que les savons à main et visage. Au lieu d’utiliser le fameux sodium lauryl (ou laureth) sulfate, les nouveaux agents moussants qui dominent maintenant le marché sont issus de la synthèse d’huile de coco avec certains sucres afin qu’ils soient nettoyants et hydratants à la fois.
Ce qui nous permet d’avoir des nettoyants qui perturbent beaucoup moins le film hydrolipidique et la flore cutanée (qu’on appelle nouvellement le système immunitaire externe de la peau).
Voici quelques exemples, parmi tant d’autres, si vous voulez les rechercher vous les trouverez sous (nom INCI) :
- coco-bétaïne (le plus populaire);
- cocamidopropyl bétaïne;
- ou encore disodium cocoamphodiacetate.
La cosmétique traditionnelle : reine de la précision
Ce qui rend plus sécuritaire et efficace la cosmétique traditionnelle, est justement ses forces en laboratoire. Ils sont autorisés à purifier et à caractériser un extrait végétal afin d’en extraire que la composante active dont nous avons besoin.
Parce que la plante vient avec des huiles essentielles, des pigments colorés et est souvent source de plusieurs allergènes cachés, la peau les aime beaucoup moins, comme nous venons de le voir. De plus, nos cellules de peau aiment la précision, nous devons avoir la bonne configuration de l’ingrédient afin d’avoir une efficacité sur un mécanisme réactionnel précis.
Par exemple, nous utilisons beaucoup en ce moment, dans les produits de régénération cellulaire (produits cicatrisants), le Panthénol (vitamine B5). Mais souvent, ce qu’on ne vous dit pas, c’est que la seule forme ayant des propriétés actives est celle de la D‑Panthénol et dans la nature, nous retrouvons également la forme L‑Panthénol. Si l’on prend un extrait complet sans purification, cela signifie que nous retrouverons dans cet extrait les formes L et D, donc environ 50% seulement de l’extrait auront une efficacité prouvée. Puisque dans la nature tous les ingrédients se retrouvent sous leurs deux formes, leur purification est essentielle.
Voilà pourquoi les dermatologues n’aiment pas les ingrédients bruts de source naturelle, c’est-à-dire, sans purification et qui manquent de spécificité.
Matière à réflexion
J’espère que vous serez maintenant plus confiantes et fières de pouvoir répondre à cette question avec des arguments techniques validés. Je suis persuadée que vos clientes seront enchantées de pouvoir en discuter avec une professionnelle qui sait de quoi elle parle!
Petit conseil, surtout, il est important d’éviter la futilité des déclarations « tout ou rien », sortir un ingrédient de son contexte de formulation peut grandement fausser notre interprétation de sa fonction.